titre de la nouvelle

Ce soir, je m’ennuie, aussi je décide de faire une promenade digestive sur le front de mer. Ne voulant pas être seul, je demande à Alex, le fils de mes voisins de palier, s’il souhaite venir avec moi. Il accepte ma proposition, enfile son blouson et nous sortons dans la rue. Le soleil n’est pas encore couché. Il illumine de ses derniers rayons la mer qui vient mourir au pied de l’immeuble. Au bout de quelques minutes, nous arrivons à destination.
Comme d’habitude, la foule est nombreuse à déambuler dans ce secteur des Sables d’Olonne. Le principe consiste à descendre et remonter successivement la rue. Pour éviter toute monotonie, les gens font une halte à l’aller, près de chaque boutique artisanale, et au retour, s’attardent devant les différents spectacles de clowns et de funambules. Pendant l’été, de nombreux artistes désargentés viennent présenter leur show aux touristes de passage, histoire de faire bouillir la marmite. Pour un vieil habitué comme moi, le spectacle ne varie jamais tant les mêmes reviennent invariablement d’année en année.
Quant à moi, mon centre d’attraction se nomme Alex. Je le suis scrupuleusement du regard tandis qu’il butine autour de chaque animation. Telle une abeille attirée par le pistil d’une fleur, il prête une attention quasi désespérée aux bonimenteurs occupés à vendre l’affaire du siècle. Ses yeux bleus demeurent rivés sur chaque geste qui vient appuyer leur discours. Je suis presque jaloux de ces individus, de l’effet qu’ils produisent chez le jeune garçon.
« Alex, ne reste pas là ! Allons plutôt voir les clowns. » Il grogne mais me suit sans poser de question. Au fil des jours, il résiste de plus en plus à mes propositions. Son regard devient même fuyant. Je prends alors mon mal en patience. Il finit toujours par céder.
Un éclat de voix inhabituel attire mon attention. D’habitude, je reconnais sans difficulté chaque artiste à sa façon d’attirer le client, mais là, je suis incapable de mettre un nom à cet organe vocal. Le propriétaire de l’objet en question est lui-même un individu fort original. Coiffé d’un haut-de-forme, aussi monumental et d’un noir aussi luisant que celui du président Lincoln, il porte une drôle de petite barbe rousse, pointue comme un V. Si les mouettes et les albatros savaient lire, ils pourraient déchiffrer le nom de cet homme, inscrit en lettres dorées, d’un mètre de haut, sur les flancs de son estrade : M. MYSTERE & Cie.
Tel un moustique attiré par un néon, je m’approche de lui, Alex reste collé à mes talons. Celui-ci me donne la main alors que j’essaie de me frayer un chemin au sein de la foule immense et bigarrée qui assiste au spectacle donné. Je parcours du regard les places assises disponibles et en repère immédiatement une au droit de l’estrade. Bizarrement, personne n’a songé à l’accaparer. Elle est là à me tendre les bras. Alex prend place sur mes genoux tant l’espace est exigu. J’entoure son cou de mon bras et attends tranquillement la suite des événements. De l’autre main disponible, je caresse tendrement son avant-bras. J’adore le frêle duvet qui le recouvre, son contact est si doux qu’il me fait songer à la peau veloutée d’une pêche.
Le décor est plutôt glauque. Il s’agit d’une potence plantée au beau milieu du trottoir. A sa droite, légèrement en retrait, se trouve un homme aux muscles saillants et au torse imposant. Son visage est caché par un masque. Il tient ses bras repliés contre sa poitrine, imperturbable, à peine préoccupé par les murmures de la foule qui semblent le viser.
« Vous avez vu, on dirait un bourreau plus vrai que nature ! »
Je sursaute. Une vieille dame vient de se pencher vers moi pour me glisser son commentaire au creux de l’oreille. Certes, elle n’a pas tort, il correspond étonnement à l’image que l’on se fait d’un exécuteur des basses œuvres. A la différence de mes voisins, je ne m’attarde pas d’avantage sur cet apollon, mais concentre plutôt mon attention sur l’autre personnage, le dénommé monsieur Mystère. Il vient a priori d’en finir avec deux spectateurs, qui rejoignent leurs places en se poussant mutuellement du coude, et se tourne vers la foule pour leur trouver des successeurs. Je n’ai toujours pas saisi le sens du jeu qu’il anime.
Son regard perçant s’arrête sur Alex et moi. Instinctivement et sans raison apparente, je frissonne. Il semble lire en moi comme si j’étais un livre grand ouvert et parcoure un à un les chapitres de ma vie. L’épilogue doit lui convenir car il m’adresse un large sourire.
« Voulez-vous participer au grand jeu ? »
En posant sa question, il regarde la foule du coin de l’œil, guettant le signe de leur approbation. A l’unanimité, celle-ci acquiesce. Je me résigne à venir participer au fameux grand jeu. L’homme en noir invite Alex à me suivre au milieu de la scène.
Il reprend la parole.
« Pour les nouveaux venus, je rappelle le principe de la partie qui va débuter. Il s’agit du jeu du pendu, mais qui est ici porté à son paroxysme. Tout est bien réel, le bois de la potence, la corde pour la pendaison et les muscles de Charon le bourreau. C’est d’ailleurs lui qui accompagnera l’une de ces deux personnes jusqu’au gibet et procédera à l’exécution s’il n’obtient pas les lettres qui composent le mot mystérieux. Pas de question ? »
- Aucune !
- Dans ce cas, ne faisons pas languir nos spectateurs… »
L’homme me prend par la main et me conduit au pied de la pièce en bois. Alex reste légèrement en retrait et se rapproche même du public. Il paraît plus amusé que moi par la situation. Pris au jeu, il attend de pied ferme l’énoncé du problème.
Après m’avoir une dernière fois scruté de son œil perçant, monsieur Mystère saisit une carte dans le jeu qui est étalé sur un petit guéridon. Il en parcourt rapidement le contenu, me contemple de nouveau, sa barbe semble frétiller de plaisir, et se tourne enfin vers mon jeune ami.
« Etes-vous fin prêt ?
- Je le suis.
- Alors écoutez bien. Le mot en question est contraire à la morale et aux convenances. Il est composé de huit lettres »
La foule devient soudainement silencieuse. Alex est désormais au centre de ses préoccupations. Ses yeux sont curieusement rivés sur moi. J’aurais pu être flatté de l’intérêt qu’il me porte, mais à bien voir son expression, la noirceur de son regard, je suis au contraire perplexe, voire gêné. Cela ne me dit rien qui vaille.
« Alors jeune homme, avez-vous un nom à proposer à Charon. Il piaffe d’impatience, nous aussi.
- Non.
- Dans ce cas, donnez-nous une première lettre.
- C.
- Bravo ! Elle figure à la première place. »
L’assistance exprime son contentement par quelques sifflements. J’avoue que moi aussi je suis soulagé. La partie est bien engagée.
« Et bien poursuivez mon garçon, ne vous arrêtez pas en si bon chemin.
- Heu ! La lettre E.
- Encore mille fois bravo ! Elle termine le mot magique. Le plus dur reste à faire désormais, il vous faut trouver les lettres qui relient la première à la dernière. »
Il ricane, fier de sa plaisanterie douteuse.
« Plus que six caractères à découvrir et votre partenaire échappe à la terrible sentence ! Il pourra alors poursuivre ce qu’il a commencé… »
Alex tressaille. Sa mine se renfrogne brusquement. Cessant de regarder dans ma direction, il observe à présent les gesticulations de monsieur Mystère, celui-ci a entamé une gigue endiablée autour de son chapeau posé à même le sol.
« Lettre suivante, lettre suivante, dix secondes d’arrêt !
- X.
- Raté mon bon seigneur, vous avez manqué votre cible. Bourreau, faites votre devoir. »
Obéissant à l’injonction, ce dernier m’invite gentiment mais fermement à venir stationner sous la potence. Je ne me sens pas particulièrement menacé. Les visages des gens inconnus qui m’observent ne sont pas non plus marqués par la crainte de la sentence. Bien au contraire, tous me témoignent de la sympathie. En revanche, une seule personne fait grise mine, mon jeune ami Alex. Le garçon commence à m’inquiéter sérieusement. Que peut-il bien se tramer dans sa belle petite tête ? Il refuse ostensiblement de répondre à mes encouragements, préférant contempler les mimiques du maître de cérémonie.
« Il ne faut pas faire attendre vos innombrables admirateurs, n’est-ce pas mes amis ? » La foule crie son approbation. L’ambiance est vraiment chaleureuse.
« Je vous propose la lettre Z.
- Z comme Zorro ! »
L’homme porte soudainement ses mains à la poitrine comme si une épée invisible le transperçait, il se laisse doucement choir à terre en criant sa douleur imaginaire. Il ferme les yeux. Il n’y a plus un bruit aux alentours. Tout le monde retient sa respiration, attendant impatiemment la suite du spectacle. J’avoue que je deviens de plus en plus fébrile.
L’homme rouvre un œil et redresse son torse.
« Et bien Zorro ne vous aura pas été d’un grand secours. Bourreau, vous pouvez poursuivre votre œuvre. »
Celui-ci apporte un tabouret devant moi. La corde bouge imperceptiblement, bercée par le vent qui se lève.
Les propositions suivantes défilent à vitesse éclair. J’ai l’impression qu’Alex souhaite en finir au plus vite avec le jeu ou avec moi peut-être. Pourtant, le début avait été prometteur, le reste de la partie n’aurait dû être qu’une simple formalité. Ce garçon est un fin lettré. Je l’ai personnellement initié à la littérature (d’abord enfantine avant d’accéder aux « grands livres ») comme je l’avais moi-même été des années auparavant par mon oncle, lorsqu’il m’autorisait à consulter sa bibliothèque. Partager la culture au lieu de vouloir en restreindre les accès est selon moi le meilleur moyen de s’attacher les bonnes grâces d’un élève.
« Dernière chance ! Pour aider votre infortuné partenaire, je peux compléter la définition en précisant qu’il s’agit d’un synonyme du mot responsable utilisé généralement avec une connotation péjorative. »
Je redescends sur terre, enfin je ne sais pas si le mot est de circonstance, je demeure toujours sur le tabouret. Le nœud de la corde en chanvre est passé autour de mon cou, prêt à l’emploi, il m’empêche de faire le moindre mouvement.
« La lettre V !
- C’est votre dernier mot.
- Oui.


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EXTRAITS DU JOURNAL DE MARTIN DORMOY


Mercredi 1er août - Je regarde l'heure à la pendule du salon. Il est 20 H 30. En principe, le courrier est arrivé depuis fort longtemps. Le facteur passe habituellement en fin de matinée. Les lève-tôt ne doivent pas être trop pressés pour lire leur courrier (quand il y en a) ou le journal du jour. Moi, cela ne me dérange en aucune façon.
Je prends ma cape, attrape la clef de la boite qui pend au mur, et sors dehors. Le palier est dans la pénombre. Je me dirige directement vers la porte de l'ascenseur sans même me soucier d'allumer la lumière extérieure. Je connais parfaitement le chemin. J’appelle l'ascenseur. Le claquement caractéristique de sa mise en branle résonne alors, il y en a bien pour cinq minutes avant que le monte-charge ne dévoile ses entrailles à mes yeux. Cela me laisse le temps de ressasser mes histoires, ou plutôt mon histoire. Celle-ci remonte à un mois.

Dimanche 1er juillet - Ce soir, je décide de commencer ma nuit de chauffe au Dostoïevski. Un nom un peu original pour un bar, mais j’y rencontre là toute la fine fleur de la bourgeoisie locale. Une fois arrivé, je prends le temps de faire le tour de la salle avant de m’installer. Je surveille du coin de l’œil les différents groupes attablés et lorsque je remarque une personne isolée, je m’assieds à la table la plus proche. Ensuite tout est histoire d’opportunité…
Aujourd’hui, j’ai de la chance. J’en repère une immédiatement. Blonde, la mine ingénue, la jeune fille en question est assise près de l’entrée du bar. Un bon point pour sa défense, elle n’a pas de montre à son poignet, elle n’attend visiblement personne. Je m’installe de l’autre coté du passage face à sa table. Le regard de la demoiselle ne peut m’ignorer plus longtemps, la moitié du chemin qui nous sépare est déjà parcourue…
Dix minutes plus tard, nous sommes arrivés à mon logement.
« Pas mal ton appart, je le trouve plutôt distingué, très british ! »
En quoi est-ce étonnant ? Etant sujet de sa très sainte Majesté, la Reine d’Angleterre, il me semble logique de meubler « my sweat home » à l’anglaise même si j’ai quitté mon pays depuis quelque temps.
« Je suis heureux que tu apprécies mon style de décoration. Il est vrai que j’y consacre une bonne partie de mon temps libre.
- Ah ! Et le reste de ton temps, tu le consacres à quoi ? »
Un sourire me vient aux lèvres avant de répondre. La jeune fille le remarque.
« Alors ?
- A rechercher ma nourriture… »
La réponse semble la satisfaire. Elle reprend sa déambulation au sein de mon habitation tout en se dévêtant progressivement, abandonnant au passage son pantalon sur le divan, le chemisier sur le dos de mon voltaire. A la fin, elle se présente à moi complètement nue, ses yeux vrillés sur les miens, attentifs à la moindre de mes réactions.
« Je te plais ? »
Je la regarde de bas en haut et inversement avant de répondre. Certes elle me plaît énormément. Mais elle est sûrement à des lieues d’en connaître la raison !
La demoiselle scrute mes lèvres émues par tant de splendeur, elle veut sa réponse, une de plus qui la confortera dans son égocentrisme primaire.
« Tu n’es pas belle. »
Ses sourcils s’arrondissent. A t’elle bien entendu ?
« Non, tu es au-delà de ce qu’un simple mortel est en droit d’espérer tout au long de sa petite vie… »
Le sourire revient sur sa bouche délicatement charnue.
« Tu es l’idéal féminin réincarné, source de vie pour l’infâme prédateur que je suis.
- N’en rajoute pas trop quand même ! »
Mon ultime compliment a fait mouche.
Rassurée, elle se dirige à pas feutrés, telle une chatte s’apprêtant à dévorer sa proie, vers moi puis commence à me dévêtir.
Tandis qu’elle s’affaire à me retirer tous mes vêtements, elle m’abreuve de questions pour la plupart insignifiantes, hormis une qui pique ma curiosité.
« As-tu songé à apporter une ou … plusieurs capotes ? »
Son œil s’est fait taquin, voire rêveur.
« Une quoi ?
- Bien, un préservatif ou un condom si tu préfères. Tu débarques de quelle planète ? Remarque, c’est à tes risques et périls… »
Je ne comprends pas le sens de sa question, ou plutôt si, je ne comprends que fort bien : je dois réagir vivement avant qu’elle ne se referme comme une huître.
« Suis-je bête ! Où avais-je la tête ? Tu me troubles tellement… »
Délicatement, j’entoure sa fine taille de mes bras et l’attire tendrement vers moi. Son regard est collé au mien. Puis ma main gauche remonte vers sa nuque, la tient fermement et ma tête se penche alors vers son cou si délicat, qui s’offre à moi.
Je la sens prête, totalement prête.
D’un geste brusque, je plante mes canines dans sa carotide palpitante de vie contenue. Le sang se met à jaillir à jets saccadés. La jeune fille cherche alors à se défaire de mon emprise, puis s’écroule au bout de quelques secondes contre moi. Une seule chose m’obsède, ce liquide écarlate et bouillonnant qui se répand sur son épaule, son sein, sa taille et qui me couvre à mon tour. Ma bouche se colle à la plaie et aspire frénétiquement ce divin nectar sans lequel il me serait impossible d’exister.
Je dis bien exister, non vivre…
Mais très vite, je dois interrompre mes succions. La jeune fille ne doit pas mourir, du moins pas tout de suite. J’humecte de ma salive les trous sanguinolents et de ma paume droite comprime la blessure. Quelques minutes plus tard, cette dernière ne saigne plus. Je ramène la demoiselle dans la chambre rose, l’étends sur le lit et la recouvre d’un drap de soie. Bien sûr, j’ai auparavant nettoyé toute trace de sang, elle ne devra se douter de rien à son réveil.
La tâche accomplie, je me couche à ses cotés et ferme les yeux. Comme une bête repue, je savoure mon plaisir, trop rare à mon goût, qui demeure toujours égal à lui-même. Cela fait plus d’un siècle que je m’abreuve à cette source unique qu’est le sang et à chaque fois, j’éprouve cette même sensation de jouissance.
Jamais, au grand jamais, je ne pourrais assez remercier mon initiatrice de m’avoir fait connaître ce grand bonheur, d’avoir atteint le stade ultime de la jouissance, d’être devenu un vampire.
Je m’en souviens comme si c’était hier encore.
La scène se déroule dans les environs de Hampstead, en Grande Bretagne, à la fin du XIXème siècle. « The Westminster Gazette » avait rapporté les faits dans son édition du 25 septembre 1897.
Plusieurs enfants avaient disparu du foyer paternel durant deux ou trois jours. Chaque fois, il s’agissait d’enfants trop jeunes pour qu’ils puissent fournir des explications satisfaisantes, mais tous ont donné comme excuse qu’ils avaient accompagné la « dame-en-sang ». Tous présentaient à leur retour des traces de morsures à la gorge. L’un d’entre eux fut même retrouvé assez tard sous un buisson d’ajoncs de Shooter’s Hill.
Mais « The Westminster Gazette » avait omis de citer mon cas, et pour cause, personne n’avait découvert ma dépouille mortelle. J’étais là quand une jeune femme vêtue d’un linceul se cacha en compagnie de ce dernier enfant dans la cabane de berger où je dormais. A l’époque, j’y passais parfois quelques nuits lorsque j’accompagnais mon troupeau de moutons sur les chemins de la transhumance. La silhouette blanche n’avait pas remarqué ma présence, trop accaparée par l’attention qu’elle portait au jeune garçon.
Surpris, je regardais d’abord avec curiosité la scène qui se déroulait à quelques mètres de moi. La femme était penchée sur le chérubin, semblant l’embrasser au niveau de son cou, tandis que celui-ci regardait fixement le toit de cabanon sans dire un mot. Il était calme. Dehors, on entendait seulement les bêlements de mes bêtes entre deux cris d’effraie.
Tout à coup, l’enfant se mit à gesticuler en regardant dans ma direction. Il avait probablement dû me repérer. La demoiselle se releva brusquement et se tourna vers moi. « Ses lèvres étaient écarlates, tout humides de sang frais dont un filet avait coulé sur son menton et souillé son vêtement immaculé ». Elle écarta ses bras dans un mouvement plein de grâce et de volupté.
« Venez à moi. J’ai besoin de vous tenir dans mes bras. Venez, ô mon beau pâtre ! Venez donc ! »
Cédant à cette douce voix, je m’approchais d’elle et vins me réfugier sans résistance contre sa poitrine. Alors que le garçon profitait de l’opportunité qui se présentait à lui pour prendre la poudre d’escampette, je m’abandonnais totalement au long baiser que la femme me prodigua. La suite, je ne m’en souviens pas vraiment. Je crois alors avoir perdu connaissance. Je me réveillais quelques nuits plus tard. Quelques nuits dis-je, car j’éprouvais la plus grande difficulté à exposer mes yeux à la lumière du jour.
Je pris conscience de ma condition de vampire lorsque je voulus me nourrir. Je voulais de la chair fraîche ! Tel un ogre, je me jetais sur le premier mouton venu pour y introduire ma bouche transformée en trompe dans son oreille et sucer son cerveau. Mais je savais déjà que je n’en resterais pas là, qu’il me faudrait toujours plus de proies, humaines de préférence, bovines en cas de disette.
Après avoir fait le tour du Royaume Uni, je changeais de contrée et vins m’établir à Paris. En guise de souvenir de mon pays d’origine, j’emportais dans mes bagages un peu de cette tourbe noire de la lande de Hampstead, lieu de ma résurrection. Sans elle, je sens confusément qu’un péril me guette, invisible mais ô combien dangereux !
Un péril ?
Mon invitée du soir n’a t’elle justement pas parlé de risques et périls qui me menaçaient ? Ah oui ! C’était à propos de ce fameux préservatif. En quoi pouvait-il m’être utile ?
Je me tourne de coté, essayant de reprendre le fil de mes rêveries nostalgiques. Mais seule l’inquiétude habite mon esprit désormais. Je me relève et entreprends d’ouvrir le sac à main de la jeune fille où je pense trouver la réponse à mes attentes, au doute qui me tenaille.
Le sac en toile de jeans présente une multitude de poches où se cachent mouchoirs, papiers divers, crayons, dans un désordre apparent. En revanche, l’une d’entre-elles ne comporte que des boites de médicaments. Je les inspecte une à une. Toutes présentent des noms compliqués qui ne me rappellent rien de connu et sont remplies de cachets et gélules multicolores. Je note scrupuleusement les références des produits sur un bloc-notes en prévision de recherches ultérieures.
Comme la posologie de ces médicaments m’est tout autant étrangère, je remets sagement le tout à sa place et referme le sac.
Un bruit de réveil me ramène à une autre réalité, plus immédiate celle-ci. L’aube approche, je dois me soustraire aux rayons du soleil. Je laisse une courte missive à mon invitée, lui indiquant en substance que je suis absent pour la journée et que si elle le souhaite, elle pourra me retrouver un de ces soirs, même endroit, même heure.
Je réintègre ensuite ma cachette secrète, un congélateur ajusté à ma taille : toujours à la bonne température, il constitue le meilleur des repaires, facilement transportable en cas de danger, personne n’irait songer qu’il abrite un vampire.
Pourtant le sommeil tarde à venir ce matin.
Je crois que je vais faire des cauchemars…

Dimanche 8 juillet – Je n’ai pas revu la jeune fille. Je suis étonné. Habituellement, toutes ne rechignent pas à revenir me voir. Toute cette histoire est inhabituelle. Je suis quand même retourné dans le même bar et ai interrogé le barman. Haussant des épaules, il a répondu à mes questions par cette phrase laconique :
« Elle a rechuté ! »
Ensuite il resta sourd à mes autres interrogations, uniquement préoccupé par la transparence des verres qu’il nettoyait méthodiquement.
Je dois en savoir plus, je sens intuitivement que mon avenir en dépend. L’affaire étant apparemment d’ordre médical, je me procure l’encyclopédie adéquate au magasin chinois du bas de la rue, celui qui ferme tous les soirs à 23 h 00, et rentre précipitamment à la maison.
Fort des renseignements inscris sur mon calepin, il m’est facile d’orienter mes investigations et de parvenir en quelques secondes au chapitre consacré au Virus Immunodéficitaire Humain et au sida.
Je suis atterré par ma découverte. Ma conquête d’un soir a le sida, j’en suis maintenant convaincu. Ce qui m’amène à la réflexion suivante, implacable, irrémédiable, suis-je ou non atteint par cette même maladie ?


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Joseph frappa à la porte du bureau désignée du bout de l’index par la réceptionniste. Il pénétra aussitôt dans la pièce sans attendre une invitation comme le recommandait le panneau punaisé à l’entrée. Quelqu’un viendrait le chercher dès que possible, c’était écrit sur le revers de la porte. On avait pensé à tout ! Le «on» en question était de circonstance car Joseph ne connaissait pas l’identité de la personne qui allait le recevoir.
Au bout de quelques minutes, une jeune femme vint à sa rencontre.
« Joseph Kappa je présume ? »
Il hocha machinalement de la tête.
« M. Stileberg vous attend. Veuillez me suivre s’il vous plaît. »
Il lui emboîta le pas et arriva dans une vaste salle de réunion. Sobrement décorée, elle disposait d’une table gigantesque à l’extrémité de laquelle étaient assis trois individus, tous vêtus de blouses blanches.
« Entrez, entrez, Joseph, venez vous asseoir près de nous. »
Obtempérant à l’injonction, Joseph s’installa à la chaise désignée par la jeune femme. Le plus âgé des hommes prit la parole.
« Aujourd’hui peut être un grand jour pour vous si vous acceptez de participer au test que nous vous avons spécialement préparé.
- En quoi consiste t'il ?
- C’est simple. Il vous suffit d’aller au bâtiment IG 3 muni du casier que Angélina va vous apporter. Vous vous présenterez à la laverie automatique qui se situe à sa périphérie Ouest. Ensuite, vous n’aurez simplement qu’à procéder au lavage des vêtements contenus dans votre boite. Rien de plus simple !
- Et ensuite ?
Le vieil homme regarda ses voisins avant de reprendre la parole.
« Nous prendrons notre décision au vu du résultat. Votre réponse ? »
Joseph hésita un court instant avant de prendre sa décision. Il ne pouvait que donner son accord, il n’avait pas le choix pour la suite de sa carrière.

La laverie était pleine à craquer. De matériel d’abord, des lave-linge rutilants au nombre de sept et trois énormes sèche-linge, de gens ensuite, ils occupaient la quasi-totalité des sièges disponibles. Dès son arrivée, Joseph repéra la seule place disponible dans un coin de la petite pièce. Il s’y installa promptement, il ne voulait pas se la faire souffler. Autour de lui, personne ne semblait s’intéresser à lui. Joseph en profita pour faire un rapide tour d’horizon, il dénombra six femmes au total. Tout le monde lui était inconnu, mais Joseph n’était pas dupe, quelqu’un était là pour le surveiller, sinon comment serait-il jugé ?
Une des femmes, la seule qui était debout, s’approcha de Joseph. Elle arborait une mine souriante.
« Bonjour. Quelle machine désirez-vous utiliser, un modèle à cinq ou sept kilos ?
- Euh ! »
Quelle question ! Joseph ne savait même pas ce que pouvait contenir son sac. Il le soupesa longuement.
« Cinq kilos, j’imagine.
- Je vois, vous êtes un connaisseur ! Vous n’avez pas de lessive ?
- Non, désolé !
- Il ne faut pas, personne n’est parfait. La dose vaut deux euros. Je vais vous en donner une immédiatement. Ensuite, vous mettrez deux euros et demi dans le monnayeur qui est là-bas. Vous voyez, c’est facile. »
Il acquiesça de la tête. Elle prit le sac et l’emporta vers la machine en question.
« Maintenant, vous remplissez le lave-linge et il fera le reste. »
Elle avait l’air narquois. Joseph eut le désagréable sentiment que la jeune femme se moquait de lui, il ne répliqua pas pour autant, elle était peut-être l’examinatrice qui le noterait à l’issue de l’épreuve. Conformément à ses indications, il enfourna le linge sale dans le tambour le plus proche du siège qu’il occupait. Comme cela, il pourrait surveiller l’avancement du lavage sans avoir à se déplacer.
Il reprit tranquillement sa place.
N’ayant rien à faire de plus, il reprit son tour d’horizon interrompu par l’arrivée de la gérante. Personne ne se souciait de lui. Hormis sa plus proche voisine accaparée par la lecture d’une revue, les autres surveillaient leurs machines respectives. Pourtant Joseph remarqua que toutes jetaient un coup d’œil de temps à autre dans la direction des machines à sécher le linge. Celles-ci n’avaient pourtant rien de spécial. Elles étaient simplement munies d’un voyant lumineux qui indiquait le temps restant pour le séchage. C’était la seule note colorée de l’ensemble.
La femme assise à ses cotés se releva pour gagner le sèche-linge où se trouvaient les habits qu’elle avait amenés. Son trajet fut suivi par cinq paires d’yeux. La plus proche se leva à son tour et prit place près de la machine sans sans se préoccuper des intentions de son prédécesseur. Joseph comprit que les places étaient chères. Il devrait être attentif s'il ne voulait pas se faire dépasser sur la ligne d'arrivée.
L’attention du jeune homme fut momentanément distraite par l’entrée d’un nouveau venu dans le local. Celui-ci prit la place de l’ex-voisine de Joseph, sortit un livre de sa poche et se plongea dans sa lecture. Le visage fermé, il n’avait même pas salué l’assistance.
Joseph n’eut pas le temps de s’appesantir sur son cas, le lavage de ses vêtements arrivait à sa fin. Il approcha de la machine. Plus que trois minutes à patienter, le premier acte de son attente touchait à sa fin. Mais la suite promettait d’être différente, Joseph venait de perdre son siège au profit d’une jeune femme. Il la foudroya du regard mais celle-ci ne s’en préoccupa absolument pas, les places s’offraient à celui qui voulait bien la prendre.
Pendant ce temps, les aller et retour se multipliaient autour des sèche-linge. Le tour de Joseph approchait.
Le moment venu, il se posta près de la machine qui allait être prochainement disponible.


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