titre de nouvelle

Demain, les journaux n’auront qu’un titre à la Une :

«Le Chien Jaune a perdu son maître !»

J’ai pris tout le monde de vitesse, je suis mort tôt ce matin vers cinq heures, les manchettes étaient déjà pliées, la presse devra prendre son mal en patience avant d’annoncer la nouvelle.
L’aurore pointait, j’ai alors choisi ce moment pour exhaler mon dernier souffle dans les bras de l'aide-soignante. Non pas que celle-ci soit particulièrement belle ou attirante, non, mais il n'y avait que cette personne à cet instant précis pour me retenir.
Miraculeusement, le néant n'a pas complètement investi mon ultime refuge en bois verni. Comment exprimer ce que je ressens ? Il est difficile de décrire avec des mots ordinaires ce qui est extraordinaire. Rien ne m'est étranger autour de moi, rien ne m'échappe. Je sens déjà la caresse du vent qui va m’emmener, tel un fétu de paille, vers la nouvelle contrée où je vais désormais couler de longs jours heureux.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le sentiment qu’elle sera à l’image du remblai des Sables d’Olonne où j’adorais passer le plus clair de mon temps. Pour se revigorer, il n’y avait rien de tel que de respirer l’air marin avant de se mettre à table devant une douzaine de sablaises grillées et une bouteille de Blanc de Brem. Ensuite, je n’avais qu’à me laisser aller en contemplant les Farsolani s’agiter à la grande kermesse rue Cours Dupont.
Un bruit parasite vient se mêler à celui du vent. On chuchote à mes cotés. Je reconnais le directeur de la maison de retraite et l’infirmière en chef en plein conciliabule. Ils jettent de temps à autre un coup d’œil circulaire, histoire de s’assurer que leur conversation restera sans témoin.
J’imagine ce qui les obsède. Leur regard les trahit tous les deux. Ils n’attendent qu’une chose, mon départ au cimetière, un coup de balai et hop ! l’arrivée d’un nouveau locataire. Ah l’argent ! Que ne fait-on pas pour lui !
S’ils savaient, tous ces mécréants, que le fric ne sert à rien lorsqu’on est devenu aussi froid que de la pierre. A peine se rappelle-t-on ce qu’il pouvait apporter comme bienfait ou méfait. Pourtant, ce n’est qu’un bout de papier qui finira en poussière à l’image de celui qui l’a créé. Une fois arrivé au fond du trou, à ce moment-là, vous vous en rendez compte, mais il est alors trop tard…
En attendant, mes neveux n’ont pas l’air d’y penser, eux, ils sont trop occupés à me dévorer des yeux. Je suis ébahi de les voir dans cet état. Leurs pleurs me font mal au cœur, ou du moins à ce qu’il en reste. Ils me font pitié. Pourtant, ils ne venaient pas me voir souvent le dimanche, à peine un courrier de temps en temps. Je crois que je les regretterais là où je vais.
En revanche, il y en a d’autres qui me regardent comme s’ils n’arrivaient pas à y croire, pour un peu, ils me tâteraient du bout du doigt pour s’assurer de ma rigidité cadavérique.
Chers enfants ! Vous avez déjà pris rendez-vous avec le notaire, avenue du Général de Gaulle, pour connaître le montant de votre héritage. Oh ! Il y en aura pour tout le monde, mais à bien vous observer, je regrette de ne pas avoir tout destiné à des indigents ou par exemple, à mes chers neveux.
Si je l’avais su plutôt, mon testament aurait pris une autre tournure. J’en ai les tripes toutes retournées à imaginer la fin de ce récit. Hum ! Mon ressentiment n’est pas passé inaperçu, car à voir pâlir l’assistance, mon pet devait être bien pestilentiel, ma foi.
Toutefois, une personne paraît ne pas être incommodée par la situation. Ses yeux sont toujours aussi bleus, ses seins se dressent tels des promontoires indestructibles, et ses jambes – ne parlons pas de ses jambes ! -, elles sont aussi fines et longues que des pieds de parasols.
Elle est vraiment jolie, la fille de mon voisin de palier, et elle le sait bien, la bougresse ! J’adorais la voir tortiller du cul lorsqu’elle venait le week-end chez son abruti de paternel, un ancien marin originaire de la Chaume.
Remarquez, en venant ainsi lui rendre visite chaque dimanche, le compte en banque de la demoiselle y a largement gagné. Je vais vous confier un secret, sans trahir la chute de l’histoire, elle n'était pas farouche… En lui glissant quelques billets dans le corsage, j’avais le droit d’inspecter tout ce que je voulais. Inutile de vous dire que je ne regardais pas France 3 à la télé, le spectacle était nettement plus enrichissant dans ma chambre. Je pense que je n’aurais plus le loisir de contempler autant de beauté pure là où mon âme va aller se reposer.
Mais pourquoi repart-elle déjà ? Son petit derrière ne peut s’empêcher de tressauter comme s’il voulait me parler, exprimer son désespoir… Elle est suivie maintenant par les autres gens. Tout le monde ne va pas quand même pas lui passer sur le corps. Laissez-moi-en. Non ! Ne partez pas, je vous en supplie.
Tiens, il y en a deux qui restent, qui s’approchent de moi à pas feutrés. Leur mine est lugubre. Bizarre ! Que me voulez-vous ? Je ne vous ai rien demandé alors pourquoi brandissez-vous cette grande planche au-dessus de ma tête ? Que faites-vous ? Vous me percez les tympans avec vos coups de marteau, vos bruits de limes. Arrêtez ! Je ne veux pas rester tout seul, j’ai peur dans le noir. Au secours ! Laissez-moi sortir, j’ai encore tant à faire sur terre…


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titre de la nouvelle

Il était presque 12 h 30. La salle à manger du restaurant "le Saint Nikolaï" n'affichait pas encore complet. Quelques places demeuraient disponibles au hasard des tables. La plupart des personnes attablées étaient des habitués du lieu.
Jeunes ou plus âgés, tous travaillaient sur les innombrables chantiers qui étaient disséminés autour du chef-lieu de canton.
Jean, le patron, surveillait d'un œil distrait son établissement. Depuis son accession au poste suprême, il se contentait de trôner derrière son comptoir de bar, près de la caisse enregistreuse, où il comptabilisait toutes les notes de ses clients. Même s'il les connaissait tous, il ne leur faisait jamais crédit, il ne voulait pas finir sur la paille.
La porte d'entrée émit un bourdonnement aigu, annonçant la venue d'un nouveau client. Machinalement, le patron regarda dans sa direction, non pas pour voir à quoi il pouvait bien ressembler, mais pour recenser le nombre exact de visiteurs. Il pourrait réagir l'instant d'après pour désigner la table la plus à même de recevoir ce beau monde. Pourtant, il n'avait pas trop à se soucier de la prise en charge des clients, car ceux-ci se dirigeaient directement vers leur table habituelle, histoire de ne pas perdre les bonnes vieilles habitudes.
Ce coup-ci, la porte s'ouvrit sur deux inconnues.
Le regard du restaurateur retrouva alors toute sa vigilance. Il scruta la pièce pour déterminer la table qui conviendrait le mieux à ces deux femmes, l'une âgée d'une cinquantaine d'années, l'air distingué, l'autre dépassant allégrement les soixante-dix ans, toute menue et ridée.
Il en repéra une située sur la partie gauche de la salle. En dépit de la sonnerie de la porte d’entrée, aucune des serveuses ne s'intéressa aux nouvelles venues, elles étaient trop accaparées par leurs clients impatients à l'idée de remplir leur estomac. Le temps leur était compté, ils devaient être de retour sur le chantier dès 14 h 00. Alors, il ne fallait pas lésiner.
Si Jean ne voulait pas perdre ces deux clientes (les concurrents étaient nombreux de l'autre coté de la place publique), il devrait alors mettre la main à la pâte. Il arbora son plus joli sourire et alla à leur rencontre.
- Deux places, je présume ? Coté non-fumeurs, j'imagine ?
Sans même se concerter avec l'autre femme, la plus jeune d'entre-elles annonça la couleur.
- Pourquoi ? On a une tête à ne pas fumer ? Donnez-nous en une coté fumeurs.
- Excusez-moi. Aucun problème. Vous serez table N°3.
Le patron était plutôt déconcerté par leur réaction, voire navré. Il n'avait pas l'habitude de se voir ainsi envoyer paître, et de surcroît par une femme. Jusqu'à ce jour, il avait toujours été respecté et entendait bien le demeurer.
Si elle voulait le prendre de cette manière, et bien il allait personnellement la servir, enfin les servir, histoire de leur montrer que son restaurant était digne du plus grand respect. Savoir servir une belle enquiquineuse était selon Jean le comble du savoir-faire pour un restaurateur.
- Je vous sers la carte des menus. En guise de plat du jour, je vous conseille notre gigot d'agneau (de pays s'il vous plaît) accompagné de flageolets. Vous m'en direz des nouvelles !
- Laissez-nous le temps de lire votre carte. Nous n'avons pas l'habitude de choisir à l'emporte-pièce. N'est-ce pas, maman ?
Celle-ci acquiesça de la tête sans piper mot.
- De toute façon, je choisis pour vous, comme d'habitude... Hein maman !
L’autre dame ne bronchait toujours pas. Elle se contentait de poser devant elle toute une série de médicaments, sous forme de gélules, de cachets divers et variés. Ils étaient impeccablement alignés tous les trois centimètres environ, hormis un excentré vers la droite. Durant la scène, la femme ainsi que Jean n'avaient cessé d'observer cette manie de grand-mère. A l'unisson, tous deux étaient interrogatifs quant à la raison du positionnement du dernier cachet. Si le restaurateur se garda bien d'émettre la moindre observation, il n'en fut rien pour l'autre convive.
- Pardonnez ma curiosité, maman, mais pourquoi avez-vous placé ce cachet à part ?
- C'est un nouveau médicament. Il doit être pris au dernier moment, seulement si le besoin s'en fait ressentir.
Elle termina la phrase en appuyant ses dernières syllabes. Apparemment, elle ne tenait pas à s'étendre sur le sujet.
Le patron revint à l'objet de sa demande.
- Avez-vous fait votre choix ou désirez-vous prendre plus de temps pour étudier la carte ?
Le niveau du débat se rehaussait nettement.
- Une assiette de crudités pour chacun, et en guise de dessert, une glace. Vous adorez tellement les glaces, maman !
La mère en question hocha lentement la tête. Jean ne savait pas si elle manifestait ainsi son approbation, mais il dut s'en contenter. Il fila dare-dare à la cuisine préparer la commande.
Dix minutes plus tard, le restaurateur était de retour avec les deux plats. Les deux femmes ne manifestèrent aucune réaction à sa venue. Pendant qu'il installait le tout, elles paraissaient uniquement préoccupées par leur conversation. Elles ignoraient même sa présence. Il faisait presque partie des meubles.
- Vous savez, maman, il ne faudra pas toujours compter sur Denise pour venir vous voir dans votre maison de retraite. Je la connais bien, elle se lassera vite de cette situation. De plus, elle doit s'occuper de ses propres enfants, elle est très prise, elle aura d'autres chats à fouetter.
- Je le sais bien, mais je ne demande pas grand chose. Je suis capable de me débrouiller seule.
La vieille dame parlait à voix basse, mais Jean avait tout entendu.
- Maman, avez-vous pris tous vos médicaments ?
Sans attendre la réponse, elle se tourna vers le restaurateur.
- Un peu d'eau pour maman, s'il vous plaît. Elle ne va pas avaler ses cachets avec du pain sec, n'est-ce pas !
- Tout de suite mesdames. Eau plate ou gazeuse ?
- Une carafe d'eau du robinet, cela suffira amplement. Vous êtes d'accord, mère ?
Le patron était déjà reparti avant même d'avoir eu la réponse qui, il n'en doutait pas, serait assurément positive. Revenu au comptoir, il observait les deux femmes tandis que la bouteille se remplissait de l'eau demandée. La vieille dame se recroquevillait de plus en plus sur sa chaise au fil des minutes qui passaient. Son vis-à-vis tendait à effacer la distance grandissante en se penchant vers elle. Elle en profitait pour mettre la salière au droit de son assiette, la poivrière à coté du verre, le pot à moutarde près de sa cuillère à café. Le reste des cachets était totalement encerclé. Pour un peu, le restaurateur se serait cru en pleine partie d'échecs, notamment lorsqu'un joueur tente d'étouffer son adversaire en lançant des attaques à outrance.
La carafe pleine, le patron l'apporta à la table N°3.
- Et une eau bien fraîche, une !
- Heureusement ! Nous ne sommes pas encore rendus à l'heure du thé, il me semble.
Puis, s'adressant à sa mère grand :
- Vous savez, à la maison de retraite que nous vous avons choisie, vous aurez de l'eau minérale à chaque repas.
- Du vin aussi ?
- Du vin également, mais en petite quantité évidemment. Il faut penser à votre santé.
- En attendant, pourrais-je en avoir pour accompagner le fromage.
- Ah ! Vous désirez du fromage ? Très bien.
Le restaurateur comprit ce que l'on attendait de lui. Il s'éclipsa. Il était quand même surpris de la témérité de la grand-mère. C'était la première initiative qu'elle venait de prendre. Tout n'était pas perdu.
Quelques poignées de secondes plus tard, il était à pied d'œuvre. Il avait sélectionné une bouteille de Haut Poitou, un cru de la région, accompagné d'un assortiment de fromages de chèvre, autre produit phare du secteur. Il les surprit en pleine conversation.
- Je connais plein de monde ici. Je ne veux pas finir ma vie comme Napoléon sur son île de Sainte-Hélène, loin de tout, loin de mes racines.
- Ce n'est quand même pas l'exil !
- Il y a aussi Jean Claude...
Son regard se troubla à l'évocation de ce prénom.
- Mais vous apprendrez à connaître d'autres gens. Votre fils, ma mère et moi serons à vos cotés pour vous faire passer le temps. Nous pratiquerons le shopping tous les jours. Vous n'aurez pas le temps de vous ennuyer, je vous assure.
- Oui, peut-être. Mais Jean Claude...
- Si vous le désirez vraiment, il pourra venir avec vous. Il reste des places disponibles.
- Il sera à son tour séparé de ses enfants.
- Il faut faire un choix, mamie. Si vous persistez à vouloir rester dans la Vienne, nous ne pourrons pas venir vous voir souvent.
- Pourquoi ?
- Le travail de votre fils l'occupe beaucoup. Si vous venez près de chez nous à Nice, il pourra être plus disponible.
- Bien sûr.
Témoin involontaire de cette série d'échanges, Jean s'en trouvait fort contrit. Il ne pensait pas que ce genre de situation pouvait arriver un jour. Que ferait-il s'il se trouvait confronté au douloureux problème de l'exil, même si dans le cas présent, celui-ci était relatif. Il chassa ces sombres pensées loin de son esprit en nettoyant la table avant de servir la suite. Il retourna au comptoir en se gardant bien de croiser le regard de la vieille femme, ni d'ailleurs celui de sa belle-fille, il avait trop peur de voir ce qui se cachait derrière.
La dernière parole qu'il entendit néanmoins venait de la petite grand-mère. Cette dernière demandait à sa bru d'aller lui chercher le portefeuille qu'elle avait oublié dans la voiture.
Arrivé près de sa caisse enregistreuse, Jean resta songeur. En desservant la table, il avait constaté que la vieille dame avait pris tous ses médicaments, hormis le fameux dernier cachet. Il se demandait bien ce qu'il était supposé guérir. Mais il n'allait pas trouver la réponse dans le marc des cafés que les serveuses lui rapportaient au bar. Du reste, il était trop occupé à rédiger les factures de ses clients pour se laisser aller à faire de la philosophie de comptoir.
Aujourd'hui était jour de marché, comme chaque mercredi, et d'affluence par la même occasion. Tout en jouant de la caisse enregistreuse, il veillait à la bonne organisation de la cuisine pour éviter les pertes de temps. Parfois, il préparait des cafés expresso pour faciliter le travail de ses employées. Aussi, surveillait-il distraitement ce qui se passait dans la grande pièce. Il nota cependant le retour de la belle-fille, le portefeuille à la main. Il n'avait pas dû être facile à trouver car plusieurs minutes s'étaient déjà écoulées depuis le départ de la femme.
Jean se replongea dans ses chiffres. Il n'avait pas le droit à l'erreur.
Ce n'est qu'au bout d'un certain temps qu'un léger brouhaha dans la salle lui fit lever la tête.
Des gens commençaient à se lever de leur table, tous regardaient dans la même direction, leurs yeux étaient rivés sur la table N°3.
Une masse sombre gisait sur le sol.
Jean quitta précipitamment sa place et accourut vers elle.


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titre de la nouvelle

Jules est assis. A quelques mètres de l’unique fenêtre qui donne sur son appartement, il attend patiemment l’œil rivé à l’encadrement. Bien sûr, il n’y a pas de volets extérieurs, le promoteur avait été chiche en la matière, mais aucun relief ne permettrait au meilleur des monte-en-l’air de gravir les dix étages qui le séparent de la terre ferme. Imperturbable, Jules reste vissé sur son siège incapable de faire le moindre mouvement, d’émettre le moindre son. Ce visiteur improbable pourrait même le confondre avec une statue si la brillance de ses yeux et la rougeur de ses joues ne trahissaient pas autant son origine humaine.
C’est peut-être à cette heure tardive de la nuit les seuls signes de vie visibles dans la pièce, car à bien y regarder, tout y semble mort. Certes quelques photographies accrochées ici et là au mur peuvent prêter à confusion pendant un court moment, mais un œil bien aguerri ne pourrait être leurré plus longtemps, tout y est factice. Les couleurs en ont même perdu leur éclat d’antan au profit d’une grisaille rampante et sournoise. Or, quelques heures auparavant, la vie régnait dans cette pièce, Jules y était tout sauf morose ! A cette pensée, il esquisse un début de rictus...


La soirée avait bien commencé, enfin pour un alcoolique en goguette, Jules venait de vider sa sixième canette de Pelforth®.
- Putain de bière ! Ca ne sert qu’à aller aux chiottes.
Il se releva fébrilement et se dirigea vers les WC en zigzaguant quelque peu, mine de rien, il n’avait pas l’habitude de se laisser aller à de tels excès. Tandis qu’il urinait longuement, il se remémorait ce qui l’avait conduit à se réfugier dans l’alcool. Ah oui ! Ces deux bonnes femmes l’avaient bel et bien berné aujourd’hui à la banque. Il n’y avait pas photo, quoique le terme soit ici quelque peu déplacé, car leur stratagème reposait justement sur l’utilisation d’une photographie bien particulière, plutôt compromettante pour l’avenir professionnel de Jules.
Certes, il leur avait refusé le bénéfice d’un prêt pour l’achat de leur logement mais il en avait parfaitement le droit, comment auraient-elles fait pour rembourser chaque mensualité avec le peu de ressources dont elles disposaient. S’il avait accepté, il en était sûr, il aurait compromis leur avenir, or justement, c’était le sien qui l’était pour l’heure. Quel comble ! Alors pourquoi l’avaient-elles trahi de cette façon ? Au premier coup d’œil, Jules leur aurait même donné le bon dieu sans confession. De plus, elle était drôlement bien balancée, la môme, la fille de madame de Beaumont, avec un p’tit cul à faire saliver le célibataire le plus endurci et des seins fermes comme des oranges. Il y avait effectivement pris goût, quoique pendant un court instant, mais la digestion était laborieuse.
- Quelle belle salope quand même !
Il en tressaillit rien qu’à imaginer la douceur de sa peau. Il se rappelait de tout comme si elle venait juste de quitter la pièce. Pour un peu, elle se trouvait encore derrière la porte.
- Mademoiselle, ne partez pas !
La porte s’entrouvrit, elle se tenait toujours là. Elle avança d’un pas. Puis d’un geste lent, elle commença à retirer sa veste qu’elle laissa choir à ses pieds. Tout en souriant, elle commença à déboutonner négligemment un à un les boutons de son chemisier.
- Mais que faîtes vous mademoiselle ?
Il était tétanisé par la surprise, jamais dans le pire de ses rêves, les plus fous du moins, il n’avait pensé vivre une telle scène.
- Je me déshabille, vous ne voyez pas ! Je suis prête à faire tous les sacrifices pour que ma maman puisse obtenir ce qu’elle veut. Elle le mérite bien, n’est ce pas ?
- Oui, oui, mais...
Il ne put terminer sa phrase, complètement abasourdi par ce qui lui arrivait. Hélèna venait d’ôter le dernier bouton, laissant apercevoir la fente d’entre ses deux seins. La jeune fille écarta les pans de son vêtement, dardant fièrement la rondeur de sa poitrine blanche, avant de le rejeter violemment en arrière. Elle n’était plus qu’à quelques centimètres de Jules, aussi s’empara-t-elle des mains de l’homme, toutes moites entre ses doigts étonnamment frais, et les porta à ses seins.
- Voyez comme ils sont fermes. Je suis prête à parier que vous n’en avez jamais vu comme ça auparavant.
- Merde !
Il regarda à ses pieds la bouteille de bière qui gisait en mille morceaux à côté de la cuvette des chiottes, il avait encore tout gagné ! Et bien sûr, la jeune fille en avait profité pour disparaître. Maintenant, il n’avait plus qu’à aller chercher un balai et une pelle pour ramasser le résultat de ses émois.
En prenant un à un les éclats de verre, il se remémorait l’autre vision, beaucoup moins intéressante celle-ci mais ô combien embarrassante, de madame de Beaumont en train de le photographier fugitivement dans les bras de sa fille.
- Sale maquerelle !
Il cria presque ces deux mots avant d'hurler une seconde fois. Il venait de s’entailler proprement la main avec un tesson de bouteille. Il laissa une belle traînée rouge derrière lui alors qu’il gagnait la salle de bains à la recherche d’un désinfectant et de pansements. S’il y avait pléthore de gaze et autres sparadraps, il n’était pas riche en alcool à 90°, heureusement une bouteille d’éther trônait au beau milieu des flacons vides. Il s’en empara et aspergea copieusement la blessure sans lésiner sur la dose. Bien mal lui en prit, il cria une nouvelle fois en se traitant de tous les noms.
- Quel imbécile alors !
De rage, il prit la bouteille, s’apprêtant à la briser net mais retint son geste au dernier moment, il avait peut être mieux à faire. Il la prit par le goulot et la porta à sa bouche. Sans hésiter, il en avala le contenu comme s’il s’agissait d’une simple eau minérale.
- Bon dieu ! Ca vous réveillerait un mort. Avec cet élixir, ma coupure sera aussi cautérisée de l’intérieur.
Il regarda à nouveau le flacon, il était désespérément vide. Il fouilla frénétiquement l’armoire de pharmacie, il aurait vendu son âme au diable pour débusquer une autre fiole contenant le précieux produit. Il fallait croire que le prince des ténèbres avait pris pension chez lui car il y en avait une qui se cachait derrière une boite de pansements. Cette fois, il n’allait pas commettre une nouvelle bêtise, il l’économiserait.
De retour dans son salon, il se laissa doucement choir sur son divan. Il s’amusait à regarder autour de lui au travers du verre bleui de la bouteille d’éther. Il avait l’impression de se retrouver piégé au milieu d’un gigantesque aquarium où les rares tableaux accrochés aux murs ressemblaient à des poissons fantomatiques pris au même filet. Il devait essayer de s’en sortir, non pas de cet écrin de verre, mais de cette situation inextricable où il s’était involontairement fourvoyé. La seule chose à faire était de prendre les cornes du taureau par les mains, tel un matador portugais, et d’en finir au plus vite.
L’éther aidant, ses pensées filaient à toute allure, il se sentait d’une forme incroyable. Il pouvait entendre son cœur battre, ses muscles palpiter, il avait retrouvé une nouvelle jeunesse. Tout ne pouvait que lui réussir désormais. Sa décision était prise. Jules se leva d’un bond, il prit sa veste, puis éteignit toutes les lumières de son appartement. Ce soir, il serait le roi.


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